Extrait de la Préface du cardinal Georges Cottier

Très tôt Charles Journet avait dénoncé la malice intrinsèque des totalitarismes. Durant les années trente, il avait accompagné, en théologien, Jacques Maritain dans l’élaboration d’une philosophie politique d’inspiration chrétienne.
Quand éclate la Seconde Guerre mondiale, nous le voyons en première ligne. Avec clarté, il précise ce que devait être la neutralité de la Suisse : d’ordre politique et prête à soulager les victimes, mais non pas une neutralité morale ignorant la distinction entre le bien et le mal. Quand la guerre éclate, il consacre un numéro spécial de Nova et Vetera à la Pologne, Le Chant de la Pologne, où s’exprime son grand amour pour la nation martyre.
Mais ce sont les éditoriaux publiés par la revue tout le temps de la guerre qui apportèrent à beaucoup une lumière libératrice et un rayon d’espérance. Il a fallu alors un grand courage à Charles Journet pour porter ces témoignages ; il a dû parfois affronter la censure militaire et celle, qui fut pour lui une douloureuse épreuve, de son évêque soucieux de ne pas aller à l’encontre des autorités civiles.
Au censeur militaire qui lui adresse un avertissement à propos d’un éditorial où il condamne la pratique des représailles, il écrit : « Dire qu’il ne nous appartient pas de nous prononcer sur de pareilles mesures, ce serait dire qu’il ne nous appartient pas d’éclairer les esprits sur ce qui est moral et immoral, juste ou inique, noble ou répugnant, permis ou défendu tant par le droit naturel que par le droit des gens ».
Pour Charles Journet, le devoir est clair. Ne pas parler, serait céder aux injonctions d’une prudence charnelle, contraire à l’Évangile.
Le drame de la guerre le bouleversait dans le plus profond de l’âme. Son combat est un combat spirituel, dans lequel il se trouve en face du mystère d’iniquité. C’est pendant les années de guerre que mûrit son livre Le Mal et qu’il écrit la vie de Nicolas de Flue ainsi que sa méditation sur le mystère d’Israël, qu’il consignera dans un autre ouvrage : Destinées d'Israël. Il s'était montré d'une fermeté sans faille dans la condamnation de l'antisémitisme.
C'est que la contemplation chrétienne est enveloppée par le mystère de Croix rédemptrice. Les prises de position de Charles Journet sont autant d'actes de courage qui ont leur source dans son coeur contemplatif. Pendant toutes ces années, il poursuit la rédaction de son oeuvre majeur, L'Eglise du Verbe incarné, dont la tonalité de fond est celle de la sagesse surnaturelle.